
Nairobi, Kenya, 20 mai 2025 : Equality Now exhorte la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples à appeler les États membres de l’Union africaine (UA) à agir de toute urgence face à la recrudescence des violences sexuelles et de l’exploitation des femmes et des filles sur le continent.
Dans sa déclaration à la 83e session ordinaire de la Commission, ce mois-ci, l’organisation de défense des droits humains a appelé la Commission à utiliser son mandat pour rappeler aux gouvernements l’importance de fournir des réparations aux survivantes de violences sexuelles, de criminaliser le féminicide, d’intensifier les efforts pour mettre fin aux “mariages d’enfants” et de renforcer les lois visant à mettre fin à la violence numérique.
Equality Now souhaite que la Commission rappelle aux États leurs obligations au titre du Protocole de Maputo sur les droits des femmes. Sur les 55 États membres, 45 ont ratifié ou signé le Protocole.
Deborah Nyokabi, experte en égalité juridique et en politique de genre chez Equality Now explique:es femmes et les filles à travers l’Afrique subissent la violence sous toutes ses formes – viol, mariage d’enfants, fémicide, traite et abus numérique – tandis que les systèmes juridiques ne parviennent trop souvent pas à les protéger ou à leur rendre justice. Il ne s’agit pas de problèmes isolés, mais de symptômes d’une incapacité plus générale à faire respecter les droits inscrits dans le protocole de Maputo.»
«Les gouvernements africains doivent prioriser la réforme juridique, fournir des réparations aux survivants et combler les lacunes en matière de protection qui laissent tant de femmes et de filles vulnérables et sans accès à l’aide lorsque leurs droits ont été violés , en particulier dans les zones de conflit où l’effondrement des services intensifie les préjudices.»
Réparation pour violences sexuelles
Selon les chiffres publiés par l’UNICEF l’année dernière, plus de 79 millions de filles et de femmes d’Afrique subsaharienne ont été victimes de viols ou d’agressions sexuelles durant leur enfance. Cette région compte le plus grand nombre d’enfants victimes de violences sexuelles au monde.
Pourtant, une étude menée par Equality Now a révélé que les survivantes de violences sexuelles se voient refuser la justice.. Dans son rapport, « Les obstacles à la justice : le viol en Afrique, droit, pratique et accès à la justice », l’ONG a mis en évidence les principales lacunes dans les lois sur le viol de 45 pays africains, notamment l’autorisation du viol dans le cadre du mariage, la possibilité pour les auteurs d’échapper au tribunal s’ils acceptent d’épouser leur victime, et la possibilité pour les juges de définir les preuves en fonction du comportement de la plaignante.
Dans sa déclaration, Equality Now a demandé à la Commission d’exhorter les États membres à intégrer de toute urgence les Lignes directrices de Niamey sur la lutte contre les violences sexuelles, adoptées par la Commission en 2017, qui insistent sur l’obligation des gouvernements d’accorder des réparations aux survivantes.
Criminaliser le féminicide
L’ONG a demandé à la Commission à inciter les gouvernements de criminaliser le féminicide, qui est la manifestation de violence envers les femmes la plus extrême et la plus brutale.
Le rapport d’Equality Now « L’inégalité entre les sexes dans le droit de la famille en Afrique : aperçu des principales tendances dans une série de pays » a révélé que la facette la plus dévastatrice de l’inégalité au sein de la famille était la violence sexuelle et fondée sur le genre, notamment la violence familiale, le viol conjugal, la violence économique et le féminicide, qui est le meurtre d’une femme ou d’une fille en raison de son sexe.
En 2023, en moyenne 140 femmes et filles ont été tuées chaque jour par leur partenaire ou un membre de leur famille. Les partenaires intimes actuels ou passés sont les plus susceptibles de commettre de tels actes. Cependant, les mesures prises pour mettre fin à la crise ou traduire les auteurs en justice restent insuffisantes..
En Afrique du Sud, une étude nationale sur le féminicide a révélé que trois femmes par jour avaient été tuées par un partenaire intime en 2020-2021, mais que dans 44 % des cas, la police n’avait pas réussi à identifier l’auteur du crime. Au Kenya, 170 cas de féminicide ont été signalés en 2024. Une pétition demandant au gouvernement de faire du féminicide un crime distinct a recueilli plus de 78 000 signatures.
Au Cameroun, le mois dernier, Bekobe Eric, accusé du meurtre de sa femme Diane Yangwo, a été condamné à cinq ans de prison avec sursis et à une amende de 52 000 CFA (environ 90 dollars). Cette sentence a été immédiatement dénoncée par les défenseur.e.s des droits des femmes.
Au début de l’année, l’Union africaine a pris une mesure importante pour faire face à la crise en adoptant la Convention de l’Union africaine sur l’élimination de la violence envers les femmes et les filles, qui inclut une définition explicite du féminicide. Equality Now souhaite que la Commission profite de l’occasion pour encourager les gouvernements à reconnaître et à criminaliser le féminicide en tant que crime distinct, et à rendre illégaux le viol conjugal et la violence familiale.
La défense des droits au Soudan et en RDC
Equality Now demande instamment à la Commission d’encourager le Soudan à ratifier le Protocole de Maputo afin de fournir des protections juridiques essentielles aux femmes et aux filles. Le Soudan est entré dans sa troisième année de conflit. Il est confronté à des destructions massives, des pertes civiles importantes et à une crise humanitaire sans précédent.
Les femmes et les filles sont les plus durement touchées par la guerre au Soudan, où les violences sexuelles sont utilisées comme des armes par les deux camps. Cependant, la destruction des infrastructures de soins de santé prive les survivantes de services médicaux et de santé reproductive adéquats, entraînant une augmentation des grossesses non désirées, des fausses couches et des décès maternels.
Des taux croissants de mortalité maternelle sont également enregistrés en République démocratique du Congo, où des décennies de conflit ont gravement endommagé les services de santé.
La Commission devrait encourager ces deux pays à intégrer dans leur réponse humanitaire les droits sexuels et reproductifs.et de.
Mettre fin aux “mariages d’enfants”
Dans sa déclaration à la Commission, Equality Now a exprimé sa profonde inquiétude face à la persistance des taux élevés de “mariages d’enfants” sur le continent. Quatorze des vingt pays où leur fréquence est la plus élevée se trouvent en Afrique. Le mariage d’enfants est une grave violation des droits humains. Les filles sont souvent contraintes d’abandonner l’école, ce qui limite leurs chances dans la vie, et sont susceptibles de donner naissance à des enfants à un jeune âge, ce qui présente de graves risques pour leur santé.
L’une des raisons pour lesquelles les mariages d’enfants se poursuivent en toute impunité est la faiblesse des protections juridiques, qu’il faut impérativement renforcer,, estime Equality Now. Tous les États membres de l’UA devraient relever l’âge minimum du mariage à 18 ans, sans exception, et mettre en œuvre des mesures et des programmes visant à mettre fin aux mariages d’enfants, conformément aux recommandations formulées en 2017 par la Commission et le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant.
Mettre fin à l’exploitation sexuelle
La Commission a également été invitée à encourager les États membres à s’attaquer à la recrudescence de la traite des femmes et des filles sur le continent.
Selon le rapport mondial sur la traite des êtres humains 2024 de l’ONUDC, un tiers de tous les flux de trafic transfrontalier implique des Africain.e.s. En Afrique subsaharienne, 98 % des victimes ont fait l’objet d’un trafic à l’intérieur de la région, dont 21 % à des fins d’exploitation sexuelle. Environ 42 % des victimes de la traite en Afrique subsaharienne sont des filles.
Les États membres ont adopté des lois et des politiques de lutte contre la traite des êtres humains, mais celles-ci ne sont pas suffisamment appliquées. Par ailleurs, les facteurs systémiques qui rendent les femmes et les filles vulnérables à l’exploitation sexuelle n’ont pas été pris en compte de manière significative.
Les espaces numériques deviennent également plus dangereux pour les femmes et les filles. Les abus en ligne, notamment le harcèlement sexuel et le partage non consentid’images intimes, augmentent parallèlement à la pénétration accrue d’Internet. La technologie est de plus en plus utilisée comme une arme pour attaquer les femmes et les filles, et notamment les femmes politiques, journalistes ou défenseuses des droits humains.
La violence numérique est exacerbée par la faiblesse des protections juridiques, l’absence fréquente de signalement et la capacité limitée des forces de l’ordre à enquêter sur les délits liés à la technologie. Les gouvernements doivent faire appliquer et renforcer les lois existantes sur l’exploitation sexuelle en ligne et investir dans des initiatives de sécurité numérique, conformément au Pacte numérique mondial de l’ONU récemment adopté, ajoute Equality Now.
FIN