5th septembre 2025

De récentes études dénoncent la défaillance des systèmes juridiques des pays de la Ligue arabe face aux survivantes de viol

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Le Caire, Égypte, le 9 septembre 2025 : Une nouvelle analyse juridique d’Equality Now met en lumière l’incapacité persistante des États membres de la Ligue arabe à définir, poursuivre et traiter le viol de manière adéquate, privant ainsi femmes et filles d’une protection effective. Equality Now appelle chacun de ces pays à procéder à une réforme urgente et complète de sa législation, accompagnée d’investissements dans son application, pour renforcer son système judiciaire et garantir un meilleur accès à la justice ainsi qu’un soutien effectif aux survivantes.

Le rapport d’Equality Now, intitulé « In Search of Justice: Rape Laws in the Arab States » (En quête de justice : les lois sur le viol dans les États arabes) expose la manière dont un Code pénal à caractère discriminatoire ainsi qu’une mauvaise application de la loi alimentent le blâme des victimes, perpétuent des stéréotypes préjudiciables et offrent l’impunité aux agresseurs.

Comme le souligne Dima Dabbous, représentante d’Equality Now au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : « L’accès à la justice est entravé par des exigences excessives en matière de preuves, issues d’interprétations restrictives du viol, comme la nécessité de prouver la violence physique. De nombreuses formes de violences sexuelles restent méconnues par la loi et, surtout, aucun pays de la Ligue arabe ne pénalise explicitement le viol conjugal. Plusieurs autorisent encore l’agresseur à échapper à des poursuites s’il épouse sa victime, même si, récemment, certains États ont supprimé ces failles dites « Épouse ton violeur ». 

« Nous exhortons les membres de la Ligue arabe à agir sans délai. Il est urgent de réformer profondément les lois sur la violence sexuelle, en s’appuyant sur le consentement, la dignité des survivantes et une application effective. »

Le rapport s’intéresse aux 22 États membres de la Ligue arabe : Algérie, Arabie saoudite, Bahreïn, Comores, Djibouti, Égypte, Émirats arabes unis, Iraq, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Maroc, Mauritanie, Oman, Palestine, Qatar, Somalie, Soudan, Syrie, Tunisie et Yémen. 

Une analyse plus poussée de l’Égypte et du Liban révèle de profondes disparités entre les textes en vigueur et la réalité observée dans les commissariats et les tribunaux. Les survivantes se heurtent fréquemment à de l’incrédulité, à des préjugés autour du viol et à des obstacles procéduraux qui découragent les signalements et entravent les démarches.

Des lois sur le viol axées sur la force, et non sur le consentement

La majorité des pays de la Ligue arabe définissent le viol à partir de la notion de force, excluant de la qualification de viol les rapports sexuels sans consentement libre et éclairé. À Djibouti, au Liban, en Libye, en Palestine (Cisjordanie), en Somalie, au Soudan et en Syrie, la notion de viol se limite à l’usage de la force.

Plusieurs pays de la Ligue arabe distinguent les cas dans lesquels l’auteur abuse de sa position d’autorité, qui sont punis de sanctions plus lourdes. Cette distinction traduit la reconnaissance dans une certaine mesure de l’impossibilité d’un consentement véritable en cas de coercition, de manipulation ou de rapport de force inégal. 

Cependant, aucun pays de la Ligue arabe n’a encore adopté de loi couvrant l’ensemble des situations prévoyant la nullité du consentement en cas de position de confiance, de dépendance ou de vulnérabilité – telles que celles liant un enseignant à son élève, des membres d’une même famille ou un chef religieux à son disciple.

Les victimes de viol confrontées à des barrières judiciaires et procédurales

Selon le droit international, le viol englobe tout acte de pénétration sexuelle, même minimal, impliquant une partie du corps ou un objet, commis sans le consentement libre et éclairé de la victime. 

Dans de nombreux pays de la Ligue arabe, seuls les cas de pénétration vaginale par un pénis sont qualifiés de viol, tandis que d’autres formes de pénétration non consentie sont considérées comme des infractions distinctes, moins sévèrement sanctionnées, ce qui renforce les hiérarchies néfastes de la violence sexuelle.

Les survivantes doivent souvent signaler les faits dans un délai de 72 heures et se soumettre à des examens médicaux invasifs. Elles sont également généralement tenues d’apporter la preuve de leur résistance physique. En l’absence de blessures visibles ou de preuves médico-légales, les plaintes des survivantes sont généralement rejetées.

L’application des lois est ténue et incohérente. Le manque de formation du personnel judiciaire, l’insuffisance de l’aide juridictionnelle et l’absence de soutien psychosocial font perdurer des systèmes de justice marqués par l’incrédulité, l’indifférence, voire l’hostilité envers les survivantes. 

L’enquête d’Equality Now sur les lois en matière de viol à travers le monde a révélé que la stigmatisation et le blâme des victimes nourrissent le silence et la revictimisation à l’échelle mondiale. Dans les pays de la Ligue arabe, les femmes et les filles sont souvent humiliées et discréditées en raison de leur comportement, de leur tenue ou de leur passé sexuel. Des normes sociales conservatrices et la criminalisation des relations sexuelles consensuelles hors mariage rendent particulièrement difficiles les discussions sur la violence sexuelle.

La discrimination à l’égard des femmes et des filles est inscrite dans les lois

La chasteté des femmes et des filles est fortement valorisée, et le viol est souvent considéré comme un outrage public à la pudeur ou à l’honneur de la famille ou de la tribu, plutôt que comme une atteinte aux droits et à l’intégrité physique de la victime. Des libellés de lois du type « atteinte à l’honneur d’une personne » et « attentat à la pudeur » mettent l’accent sur la moralité et la réputation, ce qui renforce des stéréotypes préjudiciables.

L’Algérie, l’Iraq, le Liban et la Syrie ont tous des lois permettant aux violeurs et/ou aux ravisseurs d’échapper aux poursuites en épousant leurs victimes. Bien que des actions de plaidoyer menées par la société civile aient conduit à l’abrogation de plusieurs dispositions dites « Épouse ton violeur », son application demeure incohérente. Les survivantes, notamment les mineures, sont parfois contraintes par leur famille, les forces de l’ordre ou le système judiciaire d’épouser leurs agresseurs.

Malgré les normes internationales interdisant tout mariage avant 18 ans sans exception, de nombreux pays de la Ligue arabe fixent un âge minimum légal plus bas, certains autorisant le mariage dès neuf ans, d’autres n’en fixant aucun. Les lois interdisant le mariage précoce sont souvent mal appliquées, laissant place à des violences sexuelles sur les enfants, couvertes par le cadre du mariage.

Le viol conjugal reste dans les faits légal dans tous les pays de la Ligue arabe. En Jordanie, en Palestine (Cisjordanie) et en Syrie, le Code pénal exclut explicitement la possibilité de viol au sein du mariage. La Somalie, le Soudan et le Yémen vont plus loin, en codifiant le « droit » du mari à un accès sexuel sans le consentement de son épouse.

Bien que certains pays de la Ligue arabe disposent de lois sur la violence domestique, celles-ci sont souvent insuffisantes. Au lieu de reconnaître le viol conjugal, ces textes ne sanctionnent généralement que les cas d’agression physique pour obtenir des rapports sexuels, leur appliquant des peines moins sévères. 

La discrimination fondée sur le sexe dans les lois relatives à la situation de famille régissant mariage, divorce, héritage et garde d’enfants complique la sortie des femmes de relations abusives, limitant leurs droits à la garde, aux biens et à la sécurité financière. Dans certains pays, les lois familiales varient selon la religion, la secte ou la région, institutionnalisant ainsi des inégalités de protection judiciaire des femmes et des filles selon leur communauté d’appartenance. 

Un entrelacs complexe d’enjeux politiques, religieux et socio-économiques freine la réforme juridique. Les interprétations religieuses, notamment celles s’appuyant sur la charia, sont invoquées pour s’opposer à l’harmonisation en matière de droits des femmes de la législation nationale avec les engagements internationaux tels que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF).

Pendant les conflits armés, l’effondrement de l’application de la loi, des systèmes de santé et des protections sociales rend les femmes et les filles particulièrement vulnérables aux violences sexuelles. Ce risque est considérablement accru par les déplacements, la séparation des familles et le manque de refuges sûrs. Le principe de responsabilité est rare : les survivantes se heurtent à des barrières judiciaires, procédurales et sociales qui persistent bien après la fin des combats, les privant souvent de justice.

Modèle pour la réforme de la loi sur le viol

La plupart des pays de la Ligue arabe ont ratifié des traités des Nations Unies relatifs aux droits humains, comme la CEDEF, s’engageant à défendre les droits des femmes par l’adoption de cadres juridiques sensibles au genre. Malgré quelques progrès, tous les États de la Ligue arabe ne respectent pas encore pleinement leurs obligations internationales. 

Equality Now appelle les gouvernements, décideurs, praticiens du droit et acteurs de la société civile à s’appuyer sur ce rapport comme base d’une action concrète et coordonnée. Parmi les recommandations clés :

  • Adopter une définition complète du viol fondée sur le consentement.
  • Veiller à ce que les lois respectent les normes internationales en matière de droits humains et utilisent une terminologie sensible au genre.
  • Criminaliser explicitement le viol conjugal et abroger toutes les dispositions légales permettant l’impunité par le mariage.
  • Relever l’âge minimum du mariage à 18 ans, sans exception.
  • Traiter tous les actes sexuels non consentis de manière égale et sérieuse, quel que soit le sexe, le type de pénétration ou la situation matrimoniale.
  • Supprimer les exigences judiciaires et procédurales qui rendent la preuve du viol excessivement difficile.
  • Investir dans les soins de santé, les services psychosociaux, l’aide juridictionnelle et des mécanismes confidentiels de signalement de la violence fondée sur le genre.
  • Former les forces de l’ordre, les procureurs, les juges et le personnel médical à des approches fondées sur les droits, sensibles au genre et centrées sur les victimes. 

FIN

Notes à l’intention des rédacteurs :

Pour les demandes des médias, veuillez contacter Tara Carey, responsable mondiale des médias à Equality Now, à l’adresse Tcarey@equalitynow.org, T. +44 (0)7971556340 (WhatsApp et Signal).

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